En abordant divers sujets, j'ai remarqué combien il est difficile de communiquer sa compréhension, même à propos du sujet le plus ordinaire, et à une personne que l'on connaît bien. Notre langue est trop pauvre pour une description exacte et complète. Et j'ai découvert que cette absence de compréhension entre un homme et un autre est un phénomène mathématiquement ordonné, aussi précis que la table de multiplication. La compréhension dépend, d'une manière générale, de ce qu'on appelle la « psyché » des interlocuteurs, et plus particulièrement de l'état de cette « psyché » au moment donné.
L'exactitude de cette loi peut être vérifiée à chaque pas. Pour être compris d'un autre homme, il ne suffit pas que celui qui parle sache comment parler, il faut aussi que celui qui écoute sache comment écouter. C'est pourquoi je puis dire que, si je me mettais à parler d'une manière que j'estime être exacte, tous ceux qui sont ici, à très peu d'exceptions près, penseraient que je suis fou. Mais puisqu'en ce moment je dois parler à mon auditoire tel qu'il est, et puisque cet auditoire doit m'écouter, il nous faut d'abord poser les bases d'une compréhension commune.
Au cours de notre entretien, nous devrons fixer certains repères pour que la conversation soit efficace. Tout ce que je voudrais vous proposer maintenant est d'essayer de regarder les choses, les phénomènes qui vous entourent et spécialement vous-mêmes d'un point de vue différent de celui qui vous est habituel ou naturel. De regarder seulement, car faire davantage n'est possible qu'avec la volonté et la coopération de l'auditeur, lorsqu'il cesse d'écouter passivement et commence à faire, c'est-à-dire lorsqu'il entre dans un état actif.
Très souvent, dans la conversation, on retrouve, exprimée , plus ou moins ouvertement, l'idée que l'homme tel que nous le rencontrons dans la vie ordinaire serait en quelque sorte le centre de l'univers, la « couronne de la création », ou, à tout le moins, une vaste et importante entité, que ses possibilités sont presque illimitées, ses pouvoirs presque infinis. Mais ce point de vue comporte lui-même un certain nombre de réserves : on dit que, pour cela, il faut des conditions exceptionnelles, des circonstances spéciales, l'inspiration, la révélation et ainsi de suite.
Cependant, si nous étudions cette conception de l'homme, nous voyons immédiatement qu'elle est faite d'un ensemble de traits qui n'appartiennent pas à un homme unique, mais à un certain nombre d'individus réels ou imaginaires. Jamais nous ne rencontrons un tel homme dans la vie réelle ; ni dans le présent ni comme personnage historique dans le passé. Car tout homme a ses propres faiblesses, et si vous y regardez de près, le mirage de grandeur et de puissance se désintègre.
Le plus intéressant, d'ailleurs, n'est pas que les gens revêtent les autres de ce mirage, mais que, en raison d'un trait particulier de leur psychisme, ils le reportent sur eux-mêmes, sinon en totalité, du moins en partie, comme un reflet. Si bien que, tout en étant des nullités ou presque, ils s'imaginent correspondre à ce type collectif ou ne pas s'en écarter de beaucoup.
Mais si un homme sait comment être sincère envers lui-même – non pas sincère comme le mot est compris d'habitude, mais impitoyablement sincère – alors, à la question : « Qu'êtes vous ? », il ne comptera pas sur une réponse rassurante. Aussi, sans attendre que vous ayez approché par vous-mêmes l'expérience dont je parle, et pour que vous compreniez mieux ce que je veux dire, je suggère que chacun de vous se pose la question : « Que suis-je ? » Je suis sûr que quatre-vingt-quinze pour cent d'entre vous seront décontenancés, et répondront par une autre question : « Que voulez-vous dire ? ».
Cela prouve qu'un homme a vécu toute sa vie sans se poser cette question, et considère comme allant de soi qu'il est « quelque chose », et même quelque chose de très précieux, quelque chose qu'il n'a jamais mis en doute. En même temps il est incapable d'expliquer à un autre ce qu'est ce quelque chose, incapable même d'en donner la moindre idée, puisqu'il ne le sait pas lui-même. Et s'il ne le sait pas, n'est-ce pas tout simplement que ce « quelque chose » n'existe pas, mais qu'il est seulement censé exister ? N'est-il pas étrange que les gens accordent si peu d'attention à eux-mêmes, à la connaissance d'eux-mêmes ? N'est-il pas étrange qu'ils ferment les yeux avec tant de sotte complaisance sur ce qu'ils sont réellement, et qu'ils passent leur vie dans l'agréable conviction qu'ils représentent quelque chose de précieux ? Ils oublient de voir le vide insupportable derrière la superbe façade créée par leur auto-duperie et ne se rendent pas compte que cette façade n'a qu'une valeur purement conventionnelle.
A vrai dire, il n'en est pas toujours ainsi. Tout le monde ne se regarde pas aussi superficiellement. Il y a des hommes qui cherchent, qui ont soif de la vérité du cœur et s'efforcent de la trouver, qui tentent de résoudre les problèmes posés par la vie, de parvenir jusqu'à l'essence des choses et des phénomènes et de pénétrer en eux-mêmes. Si un homme raisonne et pense sainement, quel que soit le chemin qu'il suive pour résoudre ces problèmes, il doit inévitablement en revenir à lui et commencer par résoudre le problème de ce qu'il est lui-même, de sa place dans le monde environnant. Car sans cette connaissance, il n'y aura pas de centre de gravité dans sa recherche. Les paroles de Socrate : « Connais-toi toi-même » restent la devise de tous ceux qui cherchent la vraie connaissance et l'être.
Je viens d'utiliser un nouveau mot : l'« être ». Pour nous assurer que nous comprenons tous la même chose par ce mot, je dois donner quelques explications.
Nous venons de nous demander si ce qu'un homme pense de lui-même correspond à ce qu'il est en réalité, et vous vous êtes interrogés sur ce que vous êtes. Voici un médecin, un ingénieur, un peintre. Sont-ils réellement ce que nous pensons qu'ils sont ? Pouvons-nous considérer la personnalité de chacun d'eux comme se confondant avec sa profession, avec l'expérience que cette profession, ou sa préparation, lui a donnée ?
Tout homme vient au monde semblable à une feuille de papier vierge ; mais les gens et les circonstances qui l'entourent rivalisent à qui mieux mieux pour salir cette feuille et la couvrir d'inscriptions de toutes sortes. L'éducation, les leçons de morale, le savoir que nous appelons connaissance, interviennent – tous les sentiments de devoir, d'honneur, de conscience, etc. Et tous proclament le caractère immuable et infaillible des méthodes dont ils se servent pour greffer ces branches à l'arbre de la « personnalité » de l'homme. Peu à peu la feuille est salie, et plus elle est salie avec de prétendues « connaissances », plus l'homme est considéré comme intelligent. Plus il y a d'inscriptions à l'endroit appelé « devoir », plus le possesseur est considéré comme honnête ; et il en va de même pour tout. Et la feuille ainsi salie, voyant qu'on prend sa souillure pour un mérite, la considère comme précieuse. Voilà un exemple de ce que nous désignons du nom d'« homme », en y ajoutant même souvent des mots tels que « talent » et « génie ». Pourtant notre « génie » verra son humeur gâchée pour toute la journée, s'il ne trouve pas ses pantoufles à côté de son lit en se réveillant le matin.
L'homme n'est pas libre, ni dans ses manifestations ni dans sa vie. Il ne peut pas être ce qu'il voudrait être, ni même ce qu'il croit être. Il ne ressemble pas à l'image qu'il se fait de lui-même, et les mots « homme, couronne de la création » ne s'appliquent pas à lui.
« Homme » – cela sonne fièrement, mais nous devons nous demander de quelle sorte d'homme il s'agit. Pas l'homme, assurément, qui s'irrite pour des vétilles, qui accorde son attention à des questions mesquines et se laisse impliquer dans tout ce qui l'entoure. Pour avoir le droit de se dire un homme, il faut être un homme, et « être un homme » n'est possible que grâce à la connaissance de soi et au travail sur soi, dans les directions que lui révèle cette connaissance de soi.
Avez-vous jamais essayé de voir ce qui se passe en vous quand votre attention n'est pas concentrée sur un problème défini ? Je suppose que pour la plupart d'entre vous c'est un état très habituel, quoique peu d'entre vous, sans doute, l'aient systématiquement observé. Peut-être vous rendez-vous compte de la façon dont notre pensée procède par associations fortuites, lorsqu'elle fait défiler des scènes et des souvenirs sans lien, lorsque tout ce qui tombe dans le champ de notre conscience, ou simplement l'effleure, suscite en nous ces associations fortuites. Le fil des pensées semble se dévider sans interruption, tissant entre eux des fragments d'images de perceptions antérieures, tirées de divers enregistrements emmagasinés dans notre mémoire. Et tandis que ces enregistrements tournent et se déroulent, notre appareil formateur ourdit sans cesse, à partir de ce matériel, la trame des pensées. Les enregistrements de nos émotions défilent de la même façon – agréables et désagréables, joie et chagrin, rire et irritation, plaisir et douleur, sympathie et antipathie. Quelqu'un fait votre éloge, et vous êtes content ; quelqu'un vous fait des reproches, et votre humeur se gâte. Quelque chose de nouveau vous attire, et vous oubliez aussitôt ce qui vous intéressait si fort l'instant d'avant. Bientôt votre intérêt vous attache à cette nouvelle chose au point que vous y sombrez de la tête aux pieds ; et soudain vous ne la possédez plus, vous avez disparu, vous êtes lié à cette chose, dissous en elle ; en fait, c'est elle qui vous possède, qui vous tient captif, et cet égarement, cette propension à se laisser captiver est, sous de multiples formes, le propre de chacun de nous. C'est cela qui nous lie et nous empêche d'être libres. Et qui plus est, cela nous prend notre force et notre temps, nous enlève toute possibilité d'être objectifs et libres – deux qualités essentielles pour qui décide de suivre le chemin de la connaissance de soi.
Nous devons lutter pour devenir libres si nous voulons lutter pour nous connaître. Se connaître et se développer constituent une tâche d'une telle importance et d'un tel sérieux, exigeant une telle intensité d'effort, que la tenter d'une manière habituelle, entre autres choses, est impossible. L'homme qui entreprend cette tâche doit lui donner la première place dans sa vie, qui n'est pas si longue qu'il puisse se permettre de la gaspiller en futilités.
Qu'est-ce qui rendra l'homme capable de consacrer utilement son temps à sa recherche, sinon la liberté à l'égard de tout attachement ?
Liberté et sérieux. Non pas ce sérieux aux sourcils froncés, aux lèvres serrées, aux gestes soigneusement mesurés, aux paroles filtrant à travers les dents, mais le sérieux qui signifie détermination et persistance dans la recherche, intensité et constance, de sorte que, même en ses moments de repos, l'homme poursuit sa tâche principale.
Posez-vous la question : êtes-vous libres ? Beaucoup seront tentés de répondre « oui », s'ils sont dans un état de relative sécurité matérielle, sans souci du lendemain, et s'ils ne dépendent de personne pour leur subsistance ou pour le choix de leurs conditions de vie. Mais est-ce là la liberté ? Est-ce seulement une question de conditions extérieures ?
Vous avez beaucoup d'argent, vous vivez dans le luxe, et vous jouissez du respect et de l'estime générale. A la tête des importantes entreprises que vous contrôlez se trouvent des hommes capables, qui vous sont entièrement dévoués. En un mot, votre vie est un vrai lit de roses. Vous vous considérez comme étant entièrement libre, car après tout votre temps vous appartient. Vous patronnez les arts, vous réglez les problèmes mondiaux autour d'une tasse de café, et vous vous intéressez au développement des pouvoirs spirituels cachés. Vous n'êtes pas étranger aux choses de l'esprit, et vous vous sentez à l'aise devant toute question philosophique. Vous êtes bien élevé et instruit. Grâce à vos connaissances étendues dans les domaines les plus variés, vous avez la réputation d'un homme intelligent, habile à résoudre n'importe quel problème. Vous êtes le modèle de l'homme cultivé. Bref, on peut vous envier.
Ce matin vous vous êtes réveillé sous l'influence d'un rêve désagréable. Ce léger malaise a disparu rapidement mais il a laissé sa trace : une sorte de lassitude, d'hésitation dans les gestes. Vous allez vers votre miroir pour vous brosser les cheveux et, par mégarde, vous laissez tomber votre brosse. Vous venez juste de la ramasser, elle s'échappe de nouveau. Vous la ramassez alors avec une légère impatience, elle glisse de vos mains pour la troisième fois. Vous essayez de la saisir au vol, mais, au lieu de cela, elle va heurter le miroir. C'est en vain que vous tentez de l'attraper. Crac !... Voici une gerbe d'étoiles sur le miroir ancien dont vous étiez si fier. Diable ! Les disques du mécontentement se mettent en branle. Vous éprouvez le besoin de passer votre irritation sur quelqu'un. Découvrant que votre domestique a oublié de déposer le journal à côté de votre café du matin, la coupe déborde et vous décidez que pareil vaurien ne saurait demeurer plus longtemps dans votre maison.
Maintenant il est temps de sortir. Comme la journée est belle et que vous ne devez pas aller très loin, vous décidez d'aller à pied pendant que votre voiture vous suit lentement. Le beau soleil produit sur vous un effet apaisant. Un attroupement qui s'est formé au coin de la rue attire votre attention. Vous vous approchez et découvrez un homme gisant inconscient sur le trottoir. Avec l'aide des passants, quelqu'un le met dans un taxi et on l'emmène à l'hôpital. Remarquez comme le visage étrangement familier du chauffeur de taxi est relié dans vos associations à l'accident que vous avez eu l'année dernière. Vous rentriez chez vous après avoir fêté joyeusement un anniversaire. Que les gâteaux étaient délicieux ! Ce satané domestique qui a oublié votre journal du matin a gâché votre petit déjeuner. Ce malheur ne pourrait-il pas être réparé ? Après tout les gâteaux et le café ont bien leur importance ! Voici justement le fameux café où vous allez parfois avec vos amis. Mais pourquoi vous être rappelé cet accident ? Vous aviez presque oublié les ennuis de la matinée… Et maintenant, la tarte et le café ont-ils réellement si bon goût ?
Tiens ! Deux jeunes femmes à la table voisine. Quelle ravissante blonde ! Elle vous jette un coup d'œil et murmure à sa compagne : « Il est tout à fait de mon goût. ». Sûrement aucun de vos ennuis ne mérite plus que vous vous y attardiez ou que vous en soyez contrarié. Est-il besoin de vous faire remarquer combien votre humeur a changé tandis que vous faisiez connaissance avec la jolie blonde, et comme elle s'est maintenue pendant tout le temps que vous avez passé avec elle ? Vous êtes retourné chez vous une chansonnette aux lèvres et même le miroir cassé n'a tiré de vous qu'un sourire. Mais… et l'affaire pour laquelle vous êtes sorti ce matin ? Vous venez seulement de vous la rappeler... Pas mal !... Enfin... On peut toujours téléphoner.
Vous décrochez le récepteur et l'opératrice vous donne un faux numéro. Vous appelez une seconde fois et l'erreur se répète. Un homme vous déclare vertement que vous l'embêtez – vous répondez que vous n'y êtes pour rien, une discussion s'ensuit et vous apprenez avec surprise que vous êtes un goujat, un idiot, et que si vous appelez encore…
Un tapis qui s'est pris sous vos pieds vous exaspère, et il faut entendre sur quel ton vous réprimandez le domestique qui vous apporte une lettre. Cette lettre vient d'un homme que vous estimez et dont l'opinion vous importe. Le contenu du message est si flatteur que votre irritation se dissipe peu à peu pour faire place à ce délicieux sentiment d'embarras que suscite la flatterie. Et c'est dans l'humeur la plus agréable que vous en terminez la lecture.
Je pourrais continuer ainsi à décrire votre journée – ô vous, homme libre ! Peut-être pensez-vous que j'exagère ? Non, c'est une série d'instantanés pris sur le vif.
C'était une journée de la vie d'un homme important et même de renommée internationale, une journée reconstituée et décrite par lui le soir même, comme un vivant exemple de pensées et de sentiments associatifs.
Où donc est la liberté quand les gens et les choses possèdent un homme au point qu'il en oublie son humeur, ses affaires et lui-même ? Un homme sujet à de tels changements peut-il avoir une attitude tant soit peu sérieuse envers sa recherche ?
Vous comprenez mieux maintenant qu'un homme n'est pas nécessairement ce qu'il paraît être et que ce ne sont pas les faits extérieurs ni la situation qui importent, mais la structure interne de l'homme et son attitude par rapport à ces faits.
Peut-être tout ce que nous venons de dire n'est-il vrai que pour les associations qui le traversent ? Peut-être la situation est-elle différente pour ce qu'il « connaît » ?
Mais je vous le demande, si, pour une raison quelconque, vous étiez chacun, pendant plusieurs années, dans l'impossibilité de mettre en pratique vos connaissances, qu'en resterait-il ? Rien de plus sans doute que des matériaux qui s'évaporent et se dessèchent avec le temps ? Souvenez-vous de la feuille de papier vierge. C'est un fait qu'au cours de notre vie nous apprenons sans cesse des choses nouvelles. Nous appelons les résultats de cette accumulation « connaissances ». Mais en dépit de ces connaissances, ne nous montrons-nous pas bien souvent éloignés de la vie réelle, et donc mal adaptés à elle ? Nous sommes à moitié formés, comme des têtards, ou plus souvent encore simplement « instruits », c'est-à- dire ayant des bribes d'informations sur beaucoup de choses, mais tout cela reste vague et inadéquat. Et en effet, ce ne sont que des informations : nous ne pouvons pas appeler cela « connaissance ». La connaissance est la propriété inaliénable d'un homme ; elle ne peut être ni plus ni moins grande que lui. Car un homme ne « connaît » que lorsqu'il « est » lui-même cette connaissance.
Quant à vos convictions – ne les avez-vous jamais vu changer ? Ne sont-elles pas soumises, elles aussi, à des fluctuations, comme tout ce qui est en nous ? Ne serait-il pas juste de les appeler opinions plutôt que convictions, alors qu'elles dépendent de notre humeur autant que de notre information, ou peut-être simplement de l'état de notre digestion au moment même ?
Vous n'êtes, chacun d'entre vous, qu'un banal exemplaire d'automate animé. Vous pensez qu'une « âme »,et même un « esprit », sont nécessaires pour faire ce que vous faites et vivre comme vous vivez. Mais peut-être suffit-il d'une clef pour remonter le ressort de votre mécanisme. Vos rations de nourriture quotidienne contribuent à remonter ce ressort et à renouveler sans cesse les vaines pirouettes de vos associations. Certaines pensées décousues surgissent de cet arrière-plan, et vous tentez d'en faire un tout en les présentant comme précieuses et personnelles. De même avec les sentiments et les sensations qui passent, les humeurs, les expériences vécues, nous créons le mirage d'une vie intérieure. Nous disons que nous sommes des êtres conscients, capables de raisonnement, nous parlons de Dieu, de l'éternité, de la vie éternelle, et autres sujets élevés ; nous parlons de tout ce qu'on peut imaginer ; nous jugeons, discutons, définissons et apprécions, mais nous omettons de parler de nous-mêmes, et de notre réelle valeur objective. Car nous sommes tous convaincus que s'il nous manque quelque chose, nous pouvons certainement l'acquérir.
Si, par tout ce que j'ai dit, j'ai réussi, même dans une faible mesure, à montrer clairement dans quel chaos vit cet être que nous appelons homme, vous serez en mesure de trouver par vous-mêmes une réponse à la question de ce qui lui manque, de ce qu'il peut attendre s'il reste ce qu'il est, de ce qu'il peut ajouter de valable à la valeur qu'il représente lui-même.
J'ai déjà dit que certains hommes ont faim et soif de vérité. S'ils réfléchissent aux problèmes de la vie, et sont sincères envers eux-mêmes, ils se convaincront bientôt qu'il ne leur est plus possible de vivre comme ils ont vécu, ni d'être ce qu'ils ont été jusqu'à présent ; qu'il leur faut à tout prix trouver une issue à cette situation, et qu'un homme ne peut développer ses pouvoirs et capacités cachés que s'il nettoie sa machine de toutes les saletés qui l'ont encrassée au cours de sa vie. Pour entreprendre ce nettoyage de façon rationnelle, il lui faut voir ce qui doit être nettoyé, où et comment ; mais le voir par soi-même est presque impossible. Pour apercevoir quoi que ce soit de cet ordre, il est nécessaire de regarder de l'extérieur ; et pour cela, l'aide mutuelle est indispensable.
Si vous vous souvenez de l'exemple d'identification que j'ai donné, vous verrez combien un homme est aveugle quand il s'identifie à ses humeurs, à ses sentiments et à ses pensées. Mais notre dépendance se limite-t-elle aux choses qui peuvent être saisies du premier coup ? A celles qui sont tellement saillantes qu'elles ne peuvent manquer d'attirer l'attention ? Vous vous rappelez ce que nous avons dit de la manière dont nous jugeons du caractère des gens, les divisant arbitrairement en bons et en mauvais ? Au fur et à mesure qu'un homme commence à se connaître, il découvre sans cesse de nouveaux domaines de mécanicité en lui-même – appelons cela automatisme – domaines où sa volonté, son « je veux » n'a aucun pouvoir, et où tout est si confus et si subtil qu'il lui est impossible de s'y retrouver sans être aidé et guidé par l'autorité de quelqu'un qui sait.
En résumé, voici l'état des choses en ce qui concerne la connaissance de soi : pour faire, il faut savoir – mais pour savoir, il faut découvrir comment savoir ; et cela, nous ne pouvons le découvrir par nous-mêmes.
Mais il y a un autre aspect de la recherche : le développement de soi. Voyons un peu comment les choses se présentent ici. Il va de soi que, livré à lui-même, un homme ne peut pas apprendre de son petit doigt comment se développer lui-même, et encore moins ce qu'il doit au juste développer.
Pourtant peu à peu, en rencontrant des gens qui cherchent, en leur parlant, en lisant des livres sur le développement de soi, il se trouve attiré dans la sphère de ces questions.
Mais que va-t-il donc y trouver ? D'abord un abîme de charlatanisme éhonté, entièrement basé sur l'avidité, le désir de se faire une vie facile en mystifiant les gens crédules qui cherchent à sortir de leur impuissance spirituelle. Avant qu'il ait appris à séparer le bon grain de l'ivraie, il s'écoulera beaucoup de temps, pendant lequel son besoin de découvrir la vérité risque de vaciller et de s'éteindre, ou de se pervertir. Privé de son flair, il peut alors se laisser entraîner dans un labyrinthe qui débouche tout droit sur les cornes du diable. Si l'homme parvient à se tirer de ce premier bourbier, il risque de tomber dans un nouveau marécage, celui de la pseudo-connaissance.
La vérité lui sera servie sous une forme si vague et si indigeste qu'elle produira l'impression d'un délire pathologique. On lui indiquera la manière de développer des pouvoirs et des capacités cachés qui, on le lui promet, à condition qu'il persévère, lui donneront sans trop de mal la puissance et la domination sur tout, aussi bien sur les créatures animées que sur la matière inerte et sur les éléments. Tous ces systèmes, fondés sur les théories les plus diverses, sont extraordinairement séduisants, sans doute en raison même de leur caractère vague. Ils attirent tout particulièrement les personnes « semi-éduquées », à moitié instruites en matière de connaissance positive.
Etant donné que la plupart des questions étudiées du point de vue des théories occultes ou ésotériques dépassent les limites des notions accessibles à la science moderne, ces théories considèrent celle-ci de haut. Si bien que, tout en rendant justice à la science positive, elles minimisent par ailleurs son importance et laissent entendre que la science est un échec, et bien pis encore.
A quoi bon, dès lors, aller à l'université et pâlir sur les manuels officiels si des théories de ce genre permettent de regarder de haut tous les autres savoirs et de se prononcer sans appel sur toutes les questions scientifiques ?
Mais il est une chose importante que l'étude de ces théories ne donne pas : elle n'engendre pas l'objectivité en matière de connaissance, encore moins que la science elle-même. Elle tend à embrumer le cerveau de l'homme, et à diminuer sa capacité à raisonner et penser sainement, le conduisant ainsi à la psychopathie. Tel est l'effet de ces théories sur l'homme à demi éduqué qui les prend pour d'authentiques révélations. D'ailleurs leur action n'est pas tellement différente sur les savants eux-mêmes lorsqu'ils ont été touchés, si légèrement que ce soit, par le poison de l'insatisfaction des choses telles qu'elles existent.
Notre machine-à-penser a la propriété d'être persuadée de tout ce que vous voudrez, pour peu qu'elle soit influencée de façon répétée et persistante dans la direction voulue. Une chose qui peut, au départ, sembler absurde finira par paraître rationnelle pourvu qu'on la répète avec une insistance et une conviction suffisantes. Un certain type d'homme redira des phrases toutes faites qui lui sont restées dans l'esprit, un autre ira chercher des preuves et des paradoxes sophistiqués pour justifier ses assertions. Tous deux sont également à plaindre. Toutes ces théories énoncent des affirmations qui, tels des dogmes, ne peuvent être vérifiées – en tout cas pas par les moyens dont nous disposons.
Certains moyens et certaines méthodes de développement de soi sont alors suggérés, qui sont censés conduire à un état dans lequel ces affirmations peuvent être vérifiées. En principe, il n'y aurait rien à redire à cela. Mais en fait la pratique prolongée de ces méthodes risque de conduire le chercheur trop zélé à des résultats très indésirables. Un homme qui adhère aux théories occultes et qui se croit doué dans ce domaine sera incapable de résister à la tentation de mettre en pratique les méthodes qu'il a étudiées, c'est-à-dire qu'il passera de la théorie à l'action. Peut-être agira-t-il avec circonspection, en évitant les méthodes qui, selon lui, comportent des risques, et en choisissant les moyens les plus sûrs et les plus authentiques. Peut-être les examinera-t-il avec le plus grand soin. Cependant, la tentation qu'il aura de les employer, l'insistance mise autour de lui sur la nécessité d'en faire usage, sur la nature miraculeuse de leurs résultats, tandis que leurs mauvais côtés sont soigneusement dissimulés, tout cela l'amènera à les essayer.
Peut-être qu'en les essayant il découvrira des méthodes inoffensives pour lui. Peut-être même en tirera-t-il un bénéfice. Mais le plus souvent, les méthodes de développement de soi qui se proposent à l'expérience, soit comme moyens, soit comme fins, sont contradictoires et incompréhensibles. Comme elles s'appliquent à une machine aussi complexe et aussi mal connue que l'organisme humain, et en même temps à ce côté de notre vie qui lui est intimement lié, que nous appelons notre psychisme, la moindre erreur d'application, la moindre maladresse, le moindre excès de pression, peuvent causer d'irréparables dommages à la machine. Heureux qui s'échappera à peu près indemne d'un tel guêpier !
Malheureusement, la plupart de ceux qui s'adonnent au développement des pouvoirs et facultés spirituels terminent leur carrière dans un asile d'aliénés, ou ruinent leur santé et leur psychisme au point d'être réduits à être des infirmes, incapables de s'adapter à la vie. Leurs rangs sont grossis de ceux que la nostalgie du mystère et du miraculeux attire au pseudo-occultisme. Il y a encore les individus à la volonté exceptionnellement faible qui sont des ratés dans la vie, et qui, en vue de gains personnels, rêvent de développer en eux-mêmes la puissance et la capacité de subjuguer les autres. Et finalement, il y a ceux qui cherchent tout simplement du nouveau dans la vie, un moyen d'oublier leurs soucis, ou encore de trouver une diversion à leur ennui, à la routine quotidienne et d'échapper ainsi à tout conflit.
Au fur et à mesure que leurs espoirs d'atteindre aux qualités sur lesquelles ils comptaient s'évanouissent, ils versent facilement dans un charlatanisme plus ou moins délibéré. Je me rappelle l'exemple classique d'un certain chercheur de pouvoir psychique, un homme aisé, fort instruit, qui avait couru le monde en quête de miraculeux. Pour finir, il s'était ruiné et en même temps avait été complètement désillusionné par ses recherches.
Pour trouver de nouveaux moyens d'existence, l'idée lui vint d'utiliser la pseudo-connaissance qui lui avait coûté tant d'argent et d'énergie. Aussitôt dit, aussitôt fait. Il écrivit un livre, portant un de ces titres qui ornent les couvertures des livres sur l'occultisme, quelque chose dans le genre de Méthode de développement des forces cachées de l'homme.
L'ouvrage se présentait sous la forme de sept conférences et constituait une courte encyclopédie des méthodes secrètes de développement du magnétisme, de l'hypnotisme, de la télépathie, de la voyance, de la claire audience, des sorties dans le monde astral, de la lévitation, et autres séduisantes facultés. Lancée avec une large publicité, cette méthode fut mise en vente à un prix excessivement élevé, bien que pour finir un rabais appréciable (jusqu'à 95%) fût accordé aux acheteurs les plus récalcitrants ou les plus regardants, à condition qu'ils en recommandent la lecture à leurs amis.
En raison de l'intérêt général suscité par ces questions, le succès dépassa toutes les attentes de l'auteur.
Il reçut bientôt de nombreuses lettres d'acheteurs qui, en termes enthousiastes, respectueux, déférents, s'adressaient à lui comme « Cher Maître » et « Très Sage Initiateur », exprimant la plus profonde gratitude pour son remarquable exposé des très précieuses instructions qui leur avaient permis de développer diverses facultés occultes de manière étonnamment rapide.
Il en eut bientôt une collection considérable, et chacune d'entre elles était une surprise pour lui. Pour finir arrive une lettre l'informant que grâce à sa méthode, quelqu'un était parvenu en moins d'un mois à faire de la lévitation. Ce qui fit déborder la coupe de son étonnement.
Voici mot pour mot ce qu'il dit alors : « Je suis stupéfait de l'absurdité de ce qui se passe. Moi; qui suis l'auteur de cette méthode, je n'ai déjà pas une idée claire de la nature des phénomènes que j'enseigne. Et ces idiots non seulement s'y retrouvent dans ce galimatias, mais s'arrangent pour en tirer quelque chose. Et maintenant, voici qu'un super-idiot a même appris à voler. Quelle ineptie... Qu'il aille au diable ! On lui passera bientôt la camisole de force en pleine lévitation et ce sera bien fait. On n'en vivra que mieux sans de pareils imbéciles. »
Messieurs les occultistes, appréciez-vous bien les conclusions de l'auteur de ce manuel de psycho- développement ? En pareil cas, il n'est pas exclu qu'on puisse accidentellement trouver quelque chose dans un ouvrage de ce genre, car il arrive souvent qu'un homme, bien qu'ignorant lui-même, soit capable de parler avec une singulière justesse de diverses choses, sans savoir comment. A côté de cela, il est vrai, il dit tant de sottises que toutes les vérités qu'il a pu exprimer se trouvent complètement ensevelies et qu'il est tout à fait impossible d'extraire la perle de vérité de ce monceau de balivernes.
« Comment comprendre cette énigme ? » demanderez-vous. La raison en est simple. Comme je l'ai déjà dit, nous n'avons pas de connaissances qui nous soient propres, c'est-à-dire pas de connaissances données par la vie elle-même, et qui ne puissent nous être enlevées. Toutes nos connaissances, qui ne sont que de simples informations, peuvent avoir une valeur ou ne pas en avoir. En les absorbant comme une éponge, nous pouvons facilement les restituer, et en parler d'une façon logique et convaincante, tout en n'y comprenant rien. Il est également facile de les perdre, car elles ne sont pas à nous, mais ont été déversées en nous comme un liquide dans un récipient. Des miettes de vérité sont éparpillées partout, et pour ceux qui savent et comprennent il est étonnant de voir combien·les gens vivent près de la vérité, et combien cependant ils sont aveugles et impuissants à la pénétrer. Pour l'homme qui la cherche, il est bien préférable de ne pas s'engager du tout dans les sombres labyrinthes de la stupidité et de l'ignorance humaines que de s'y aventurer tout seul. Car sans les directives de quelqu'un qui sait, il peut subir à chaque pas une dislocation imperceptible de sa machine, qui l'obligerait par la suite à passer beaucoup plus de temps à la réparer qu'il n'en a mis pour l'endommager.
Que penseriez-vous d'un solide gaillard qui se présenterait comme un « être d'une douceur angélique », ajoutant que « personne autour de lui n'est à même de juger de son comportement, étant donné qu'il vit sur un plan mental auquel les normes de la vie physique ne s'appliquent pas » ? En fait, il y a longtemps que ce comportement aurait dû être soumis à l'examen d'un psychiatre : voilà un homme qui avec conscience et persévérance « travaille » sur lui-même tous les jours pendant des heures, c'est-à-dire qui consacre tous ses efforts à approfondir et renforcer une déformation psychique déjà si sérieuse que, j'en suis convaincu, il sera bientôt dans un asile de fous.
Je pourrais citer des centaines d'exemples de recherches mal dirigées, et vous montrer où cela mène. Je pourrais vous nommer des gens bien connus dans la vie publique qui ont été détraqués par l'occultisme, qui vivent parmi nous et nous étonnent par leurs excentricités. Je pourrais vous dire exactement quelle méthode les a désaxés, c'est-à-dire dans quel domaine ils ont « travaillé » et se sont « développés », comment ces méthodes ont affecté leur psychisme et pourquoi.
Mais cette question constituerait par elle-même le sujet d'une longue conversation et, faute de temps, je ne me permettrai pas de m'y attarder maintenant.
Plus un homme se rend compte des obstacles et des duperies qui le guettent à chaque pas dans ce domaine, plus il se convainc qu'il est impossible de suivre le sentier du développement de soi d'après les instructions données au hasard par des gens de rencontre, ou d'après les informations cueillies çà et là dans des lectures et des conversations fortuites. En même temps il commence à distinguer, d'abord comme une faible lueur, puis de plus en plus clairement, la vive lumière de la vérité qui n'a cessé d'éclairer l'humanité à travers les âges. Les origines de l'initiation se perdent dans la nuit des temps. D'époque en époque se dessinent des cultures et des civilisations issues des profondeurs des cultes et des mystères, qui, en transformation perpétuelle, apparaissent et disparaissent pour reparaître à nouveau.
La Grande Connaissance est transmise successivement d'âge en âge, de peuple à peuple, de race à race. Les grands centres d'initiation aux Indes, en Assyrie, en Egypte, en Grèce, éclairent le monde d'une vive lumière. Les noms vénérés des grands initiés, porteurs vivants de la vérité, sont transmis avec révérence de génération en génération. La vérité, fixée au moyen d'écrits symboliques et de légendes, est transmise aux masses pour être conservée sous forme de coutumes et de cérémonies, de traditions orales, de monuments, d'art sacré, par le message secret de la danse, de la musique, de la sculpture et des rites divers. Elle est communiquée ouvertement, au travers d'épreuves déterminées, à ceux qui la cherchent, et elle est gardée intacte par transmission orale tout au long de la chaîne de ceux qui savent. Mais, au terme d'un certain temps, les centres d'initiation s'éteignent les uns après les autres et l'antique connaissance se retire dans des voies souterraines, se dissimulant aux yeux des chercheurs.
Les porteurs de cette connaissance se dissimulent eux aussi, se voulant inconnus de ceux qui les entourent, mais ils ne cessent pas d'exister. De temps en temps, des courants isolés surgissent à la surface, montrant que quelque part dans les profondeurs, même de nos jours, coule le puissant courant de l'antique connaissance de l'être.
Se frayer un passage jusqu'à ce courant, le trouver – c'est la tâche et le but de la recherche ; car l'ayant trouvé, un homme peut hardiment se confier à la voie dans laquelle il s'engage ; ensuite, il ne lui reste qu'à « connaître » afin d'« être » et de « faire ». Sur cette voie, un homme ne sera pas entièrement seul ; aux moments difficiles, il recevra un soutien et une direction, car tous ceux qui suivent cette voie sont reliés par une chaîne ininterrompue.
Peut-être le seul résultat positif de toutes ses errances dans les méandres des sentiers et des chemins de l'occultisme sera que, s'il préserve sa capacité de penser et de juger sainement, il développera en lui-même cette faculté spéciale de discrimination qu'on peut appeler flair. Il rejettera les chemins de la psychopathie et de l'erreur et recherchera inlassablement les voies authentiques. Et ici comme pour la connaissance de soi, le principe que j'ai déjà cité reste souverain : « Pour faire, il faut savoir, mais pour savoir, il faut découvrir comment savoir. »
L'homme qui cherche de tout son être, avec son « moi » le plus intime, la vérité de ce principe en vient inévitablement à la conviction que pour « découvrir comment savoir afin de faire », il doit d'abord trouver celui auprès de qui il peut apprendre ce que signifie réellement « faire », c'est-à-dire un guide éclairé, expérimenté, qui prendra sur lui de le diriger spirituellement et deviendra son maître.
Et c'est là que le flair d'un homme prend toute son importance. Il se choisit lui-même un guide. Naturellement, la condition indispensable est qu'il choisisse un homme qui sait ; autrement tout le sens de son choix est perdu. Qui dira où peut vous conduire un guide qui ne sait pas !
Tout chercheur sur le chemin du développement de soi rêve d'un guide qui sait. Il rêve de lui, mais il est rare qu'il se demande objectivement et sincèrement : « Suis-je digne d'être guidé ? Suis-je prêt pour suivre la voie ? »
Sortez la nuit sous un vaste ciel étoilé, et levez les yeux vers ces millions de mondes au-dessus de votre tête. Sur chacun d'eux peut-être fourmillent des milliards d'êtres semblables à vous, même supérieurs à vous par leur constitution. Regardez la Voie lactée. La Terre ne peut même pas être appelée grain de sable dans cette infinité. Elle s'y dissout, disparaît, et avec elle, vous-même. Où êtes-vous ? Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ? Où voulez-vous aller ? Ce que vous entreprenez n'est-il pas de la folie pure ?
Face à tous ces mondes, interrogez-vous sur vos buts et vos espoirs, vos intentions et vos moyens de les réaliser, sur ce qui peut être exigé de vous, et demandez-vous jusqu'à quel point vous êtes préparé pour y répondre.
Un voyage long et difficile vous attend ; vous vous dirigez vers une contrée étrange et inconnue. Le chemin est infiniment long. Vous ne savez pas si vous pourrez vous reposer, ni où ce sera possible. Vous devez prévoir le pire. Prenez avec vous tout ce qui est nécessaire pour le voyage.
Tâchez de ne rien oublier, car il sera trop tard ensuite pour réparer votre erreur : vous n'aurez pas le temps de revenir chercher ce que vous aurez oublié. Evaluez vos forces. Suffisent-elles pour tout le voyage ? Quand pourrez-vous partir ?
Rappelez-vous que plus vous passerez de temps en route, plus vous aurez besoin d'emporter des provisions, ce qui retardera d'autant votre marche, et allongera même la durée de vos préparatifs. Et chaque minute est précieuse. Une fois qu'on a décidé de partir, pourquoi perdre du temps ?
Ne comptez pas sur la possibilité de revenir. Cette expérience pourrait vous coûter très cher. Le guide ne s'est engagé qu'à vous conduire, il n'est pas obligé de vous raccompagner. Vous serez abandonné à vous-même, et malheur à vous si vous faiblissez ou si vous perdez la route, vous ne pourrez jamais revenir. Et même si vous la retrouvez, la question demeure : reviendrez-vous sain et sauf ?
Des mésaventures de toutes sortes guettent le voyageur solitaire qui ne connaît pas bien la voie, ni les règles de conduite qu'elle impose. Dites-vous bien que votre vue a la propriété de vous présenter les objets éloignés comme s'ils étaient proches. Trompé sur la proximité du but vers lequel vous tendez, aveuglé par sa beauté et ignorant la mesure de vos propres forces, vous ne remarquerez pas les obstacles sur la voie ; vous ne verrez pas les multiples fossés au travers du sentier. Dans une verte prairie jonchée de fleurs éclatantes, l'herbe épaisse cache un profond précipice. Et il est très facile de trébucher et d'y tomber si vos yeux ne restent pas fixés sur le pas même que vous êtes en train de faire.
N'oubliez pas de concentrer toute votre attention sur ce qui vous entoure immédiatement. Ne vous occupez pas de buts éloignés si vous ne voulez pas tomber dans le précipice.
Cependant, n'oubliez pas votre but. Souvenez-vous-en sans cesse, et maintenez vivante votre ardeur pour l'atteindre, afin de ne pas perdre la direction juste. Et une fois parti, soyez attentif ; ce que vous avez traversé reste derrière vous et ne se représentera pas : ce que vous n'observez pas au moment même, vous ne l'observerez jamais plus.
Ne soyez pas trop curieux, et ne perdez pas de temps sur ce qui attire votre attention mais n'en vaut pas la peine. Le temps est précieux et ne doit pas être gaspillé pour des choses qui ne sont pas en relation directe avec votre but.
Rappelez-vous où vous êtes et pourquoi vous êtes là.
Ne vous ménagez pas et souvenez-vous que jamais aucun effort n'est fait en vain.
Et maintenant vous pouvez vous mettre en route.
Georges Ivanovitch Gurdjieff
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