L'idée que les hémisphères ne sont pas équivalents et que chacun a sa spécialisation est ancienne, mais la "théorie des deux cerveaux" lancée dans les années 70 par trois neurologues de l'Université Harvard, Geschwind, Levitsky et Galaburda, l'a largement popularisée. Selon cette approche, chaque hémisphère cérébral joue un rôle particulier : on parle de "latéralisation" du cerveau. L'hémisphère gauche est considéré comme le spécialiste du langage et de la pensée rationnelle. De son côté, l'hémisphère droit est vu comme le siège de la représentation de l'espace et des émotions. Cette conception s'est d'abord fondée sur des observations anciennes réalisées chez des patients porteurs de lésions cérébrales. Paul Broca, notamment, en 1861, avait repéré dans l'hémisphère gauche une zone systématiquement endommagée chez des sujets ayant perdu la capacité de parler (aphasie). (Cette zone importante pour le langage fut d'ailleurs nommée "aire de Broca"). D'autres corrélations ont suivi, permettant de relier région lésée et perte de fonction. Une lésion survenant dans l'hémisphère droit induit généralement une altération des capacités à percevoir les formes et à s'orienter. De proche en proche, une cartographie du cerveau a pu être établie, avec des aires nécessaires à la vision, l'audition, la motricité, le langage, etc.
[Hémisphère droit, hémisphère gauche - Cerveau droit, cerveau gauche]

Ces observations ont été très importantes à l'époque pour la compréhension du fonctionnement du cerveau, dont l'étude commençait à peine. Cependant, il faut garder à l'esprit que les effets de lésions cérébrales doivent être interprétées avec prudence. Car le fait d'observer un trouble fonctionnel, suite à la lésion d'une région, n'implique pas obligatoirement que cette région soit le siège de la fonction. Par exemple si la parole disparaît, cela signifie que la zone touchée est nécessaire à l'expression verbale, mais elle n'est pas forcément suffisante. Le déficit induit par une lésion ne dit pas tout d'une fonction.

Malgré des bases expérimentales manifestement peu étayées, la théorie des deux cerveaux a séduit beaucoup de monde car elle est simple et cristallise une représentation bipolaire du monde. On ne s'étonnera pas que cette théorie soit devenue le creuset de toutes sortes de spéculations plus ou moins mystiques. Dans les années 70, à l'heure où le mouvement hippies recherchait des méthodes d'épanouissement, de nouveaux gourous ont exploité le filon symbolique des deux cerveaux, présentés comme le yin et le yang. A gauche le langage, la raison, l'esprit d'entreprise et tout ce qui représente les valeurs de l'Occident. A droite, la perception de l'espace, l'affectivité, la contemplation et les valeurs de l'Orient et de l'Asie. Nombres d'ouvrages et de stage "d'initiation" proposaient des méthodes pour "penser équilibré". Et le filon n'est toujours pas épuisé ! Ces arguments sont toujours utilisés dans une certaine presse grand public.

- Extrait tiré de Cerveau, sexe et pouvoir. de C Vidal, D Benoit-Browaeys

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